Mahmoud Chouki : Au Maroc, il n’y a pas de reconnaissance envers les artistes


Propos recueillis par Danaé Pol
Lundi 7 Avril 2014

Mahmoud Chouki : Au Maroc, il n’y a pas de reconnaissance envers les artistes
Mahmoud Chouki s’est 
produit mercredi 2 avril à 17 heures Place des Nations unies à Casablanca. 
Ce guitariste compositeur, musicien de 29 ans, nous offre aujourd’hui une version authentique et originale 
de sa musique, à la 
croisée des cultures.  Ses compositions et réalisations sont une fusion de musiques du monde avec un penchant pour le flamenco, le jazz et les sonorités orientales.  Il se produit régulièrement avec les plus grands groupes de fusion et de musiques du monde telle que la rencontre Orient-Occident au Château Mercier en Suisse 
ou pendant «The Magic Lutes Concert» où il fut 
accompagné par les 
orchestres symphoniques de Qatar et Bahreïn. Entretien.

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours ?
 
 J’ai 29 ans et j’ai commencé à jouer de la guitare très tôt  dans un Conservatoire du Nord du Maroc. Après sept ou huit ans de musique classique, j’ai commencé à découvrir les musiques du monde. Je souhaitais sortir de ce cadre de guitare classique et m’ouvrir sur d’autres univers musicaux. Ainsi, je me suis intéressé au flamenco et au blues, ainsi qu’à la guitare moderne. La formation classique m’a beaucoup aidé au niveau de l’agilité et de la technique. La composition a commencé bien plus tard, entre 19 et 20 ans après mon voyage en Espagne où j’ai gagné le premier Prix international de guitare. J’ai commencé à apprendre tous les morceaux flamenco-classique, et les réorganiser à ma façon. J’ai beaucoup voyagé, et mon but était de découvrir les musiques du Maroc, car l’univers musical y est très riche, en instruments de musique et rythmes.  J’ai enregistré un disque en 2006 avec pour projet de rendre la musique marocaine accessible aux Occidentaux. La musique marocaine est linéaire, tandis que l’occidentale est harmonique… Ainsi, il fallait trouver un équilibre entre les deux, opérer une fusion intelligente. Après ce projet, j’ai voyagé et j’ai rencontré des musiciens de différentes nationalités qui m’ont beaucoup enrichi. 
 
Qu’en est-il du Maroc?
 
La dernière fois que j’ai joué au Maroc, c’était en 2009, au Festival gnaoua avec un projet électro à Essaouira. Au Maroc, il n’y a pas de reconnaissance envers les artistes. Je dois avouer en avoir un peu marre qu’on m’appelle «l’artiste local».  Nous sommes des artistes tout court! J’ai arrêté plusieurs collaborations à cause de ce problème. Au Maroc, nous avons de bons équipements, mais il n’y a pas de tourneurs, pas de métier, pas d’avocats d’artistes,  pas d’assurances et de couverture sociale pour les artistes. Une fois, j’ai dit que je voulais m’assurer les doigts et tout le monde s’est mis à rire. Le statut d’artiste au Maroc est problématique. Si tu veux investir dans la musique, tu ne gagnes rien… Par contre, dans le secteur informel, il y a beaucoup de profit. Quand on parle de droits d’auteur, l’artiste ne gagne rien du tout.  Une fois je suis allé au bureau national des droits d’auteur pour déposer mes compositions, la réponse a été «va légaliser tes partitions» ! Un artiste n’est pas qu’une personne qui joue sur scène, c’est aussi un comportement envers lui. C’est un être humain, il doit bien subvenir à ses besoins… et avoir des conditions de travail qui permettent de donner tout ce qu’il a. La société marocaine rabaisse l’artiste. Dans notre culture, c’est celui qui se produit lors des mariages… et il est souvent associé à l’alcool et à la drogue ! Il y a un travail à faire au niveau de l’éducation et de la culture. Nous aimons écouter de la musique, mais nous ne voulons pas la faire. Il y a l’aspect religieux et ce débat récurrent : «Est-ce que la musique est halal ou haram? De plus, le piratage tue l’industrie de la musique. Il faut payer un studio, un mixage, des musiciens… Il n’est pas possible de sortir un album, de le commercialiser et d’y gagner quelque chose. Le producteur ne va pas suivre…   
 
Est-ce un problème de structure? 
 
Il y a de très bons professeurs au Maroc. J’ai fait le conservatoire et il y a une vraie structure musicale pour apprendre. Le problème est que, dès que tu obtiens ton diplôme, il n’y a pas d’autres débouchés que professeur. A 18 ans, j’étais professeur de musique, ce que je trouvais ridicule, car je voulais encore apprendre et voyager… Après avoir quitté l’enseignement, j’ai regardé de plus près et il n’y avait rien du tout, pas une seule structure !


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